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“Portraits de Français en révolte”

20 Décembre 2019, 11:58am

L’article de l’équipe Reporterre “Portraits de Français en révolte” (18.12.2019) donne à réfléchir et je l’en remercie.

 

Jérôme, ouvrier dans la métallurgie :

                “…ouvrier à la fabrication, en horaires de nuit : 21 heures – 5 heures du matin”. Un horaire décalé par rapport à la norme sociale est mortel. On travaille quand les autres dorment, on dort quand les autres vivent leur vie. C’est compliqué pour la vie sentimentale et sexuelle du couple, compliqué pour les enfants qui doivent rester silencieux quand Papa dort, pour le père qui ne peut embrasser ses enfants au coucher ni leur lire une histoire, compliqué pour toutes les relations sociales , toutes les activités de loisirs… Le rythme biologique, nycthémère (du grec nikta la nuit et méra le jour) détruit la santé des animaux, des plantes, des humains.  Or, qu’est-ce qui motive un travail posté en 3/8 sinon la question financière, le profit ? Jérôme travaille dans une usine de roulements  à billes.  Si l’usine ne tournait pas 24h sur 24, elle ne résisterait pas à la concurrence des autres fabricants. Si l’on imagine une société sans argent, sans profits, travaillant uniquement pour répondre aux besoins de la collectivité, une fois la quantité de roulements à billes fabriquée  en suffisance, l’usine s’arrêterait, et quelques heures par jour suffiraient amplement. L’argent se condense entre des mains de plus en plus riches et de moins en moins nombreuses,  mais induit aussi la concentration des lieux de production. L’idéal capitaliste serait une seule usine de roulements à billes, produisant pour toute la planète, au prix le plus bas, mais dégageant le maximum de profits.  C’est la logique du système, comme la logique d’un système a-monétaire serait de produire localement et seulement quand c’est utile.

                “Avec les primes de nuit, je fais 1.600 euros. J’ai 1.000 euros de crédit pour la maison, deux enfants, ma femme ne travaille pas.” Comment peut-on investir dans un crédit de 1 000€ quand on en gagne que 1 600 ? Quel est le banquier qui a permis un tel “crédit –piège à con” ? Comment se fait-il qu’il faille autant d’argent pour seulement avoir un toit décent au-dessus de la tête ? Dans une société sans argent, donc sans les contraintes horaires du salariat et la nécessité de payer pour tout, Jérôme aurait trouvé des gens passionnés de construction, des matériaux locaux à disposition, des architectes ayant mis en ligne gratuitement des plans et des tutoriels aussi écologiques qu’artistiques… Jérôme aurait eu une belle et bonne maison sans fins de mois  pénibles, certes en un peu plus de temps, mais il aurait eu des solutions provisoires en attendant la pendaison de sa crémaillère. Dans un monde sans argent, des millions de km² de bâtiments qui servaient uniquement à la circulation de l’argent seraient immédiatement disponibles (banques, assurances, cabinets comptables, centres d’impôts, de chômage, d’allocations diverses…).  “Le système est fait pour les riches” nous dit Jérôme. C’est un peu normal puisqu’il est fait par les riches ! Mais ce n’est pas la faute des riches, c’est la faute du système qui permet la richesse d’une minorité et la pauvreté d’une majorité.

                “Elle va faire le ménage et la cantine dans une école à partir de janvier. ” La beauté du capitalisme, c‘est qu’il propose toujours, pour résoudre un problème, d’augmenter le problème. Le travail tue Jérôme à petit feu, il faut que sa femme travaille aussi. Les Grecs sont dans la misère, il faut  plus d’austérité. La planète va exploser, il faut plus de croissance !... Et ils voudraient nous faire croire que c’est du réalisme, du bon sens, la seule alternative… J’oubliais, les jeux en plus du pain : “J’aimerais gagner au loto.” Bien sûr ça fait rêver le million de la FDJ ! Bien sûr que les seuls gagnants sont ceux qui jouent. Il se peut aussi qu’il y ait un paradis après la mort qui récompenserait tous les Jérôme… On peut y croire… Ça arrangerait  les patrons, au point que l’on peut se demander si ce ne sont pas eux qui ont inventé la fable !

 

 Héloïse, aide-soignante :

                “On travaille à la chaîne, on n’en peut plus. Il y a une grosse perte de sens dans notre travail.” Au fait, elle fait quoi l’aide-soignante Héloïse ? Elle fait ce qu’elle pourrait faire bénévolement pour son père, sa mère, son grand-père, son voisin si elle n’était pas obligée de gagner sa vie pour survivre. Elle accepte d’aller au bout de ses annuités réglementaires, les reins brisés, épuisée, pour être à son tour accueillie en EPHAD dans ses vieux jours.  Y a-t-il une once de logique dans ce système ?

                Avant, “on avait quand même le temps de papoter, d’allumer la télévision, de les sortir un peu dehors”. Qu’elle horreur ! Quelle perte de temps ! Quelle absence de productivité ! A entendre les syndicats, il faudrait que le “produit-vieux-dépendant” ne soit plus une source de profits. Alors pourquoi  les prendre en charge au lieu d’utiliser les cocotiers ?...

                 “La retraite ce n’est pas volé, c’est un dû !” s’indigne Héloïse. Certes, elle n’aura pas volé sa maigre retraite et les rares années en bonne santé qui lui restera. Mais l’esclave ne volait pas la nourriture que le maître lui concédait, le galérien ne devait pas louer la rame à laquelle il était rivé. Il n’y a pas de raison pour autant, d’accepter le salariat, l’esclavage, la galère ! Dans un monde sans échange marchand, il y aura toujours des Héloïse pour s’occuper des vieux et des Jérôme pour fabriquer des roulements. Mais ce sera par plaisir, par amour, par sens du commun, du bien public. Si l’on y regarde de plus près, seules les activités qui répondent à la passion, à l’amour, au service sont réellement productives. En ôtant tout sens aux activités humaines, le néolibéralisme les transforme en esclavage. Et il voudrait nous faire croire que c’est un progrès…

                Et que dire d’autre au sujet de de Samuel, le biffin, qui fait œuvre utile sans aucune reconnaissance sociale, d’Anaïs, l’étudiante, confrontée à des difficultés sans nom quand elle veut seulement  servir, être utile, changer le monde par ses études ? Le capitalisme voudrait nous faire croire que l’argent permet, alors qu’il empêche bien plus souvent, qu’il est incontournable, alors qu’il nous mène à des impasses infranchissables ! Une société fondée sur l’accès à tout et pour tous, sans condition, ouvrirait tant de portes que l’on se demande pourquoi elle fait si peur, pourquoi elle paraît utopique, alors que l’outil numérique nous en donne désormais les moyens. Quand l’idée d’une “désargence” progressive sera admise par le plus grand nombre, le capitalisme perdra tout sens. À l’inverse, les motivations des gilets jaunes, des écologistes, des décroissants, des Zadistes, des libertaires, des syndicalistes, etc.,  entreront en synergie et renverseront le rapport de force, aujourd’hui en notre défaveur…

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