Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Désargence.over-blog.com

Des mensonges habillés d'évidences...

26 Novembre 2019, 11:12am

     

           Les pratiques industrielles, l’économie mondiale, le discours politique, et bien d’autres choses sont fondés sur des contre-vérités théoriques qui habillement déguisées, sont devenues des évidences indiscutables. Un bel exemple en est par exemple le mythe de l’euro qui serait plus profitable aux Grecs que leur Drachme. Depuis des années, les Grecs ont intégré que l’euro était leur seule chance de survie, oubliant que la Drachme a été un jour le dollar des Balkans. A chaque fois que j’en parlais aux amis grecs, c’était les mêmes arguments absurdes. Le retour à une monnaie nationale ne pourrait se faire qu’assorti d’une dévaluation de 50%, donc d’un doublement des prix pour la moindre bouteille d’eau. Depuis 2011, je n’entends que cela. Hors de l’euro, point de salut, dit avec une aussi grande conviction qu’on disait jadis, hors de l’Église point de salut !

                Le taux actualisé de la drachme est de 340 DR pour 1€. C’est ce qui est annoncé par la finance internationale. Une bouteille de bière locale vendue actuellement 2€50 devrait donc se vendre 850 DR. L’horreur me dit-on, horreur absolue si l’on considère que les difficultés qu’aurait une Grèce indépendante sur le marché international entraineraient alors une dévaluation de 50%, soit une bière à 1700 DR. C’est tout simplement oublier que les prix à la consommation ne sont pas les seuls dépendre de la valeur monétaire. Les salaires et les charges sont toujours peu ou prou alignés sur l’augmentation des prix.

                En outre, l’économie grecque repose sur une part non négligeable d’émigrés, partis en France, en Belgique, Allemagne, Australie… Tous restent très attachés à leur pays et reviennent pour les vacances ou à leur retraite. Ils entretiennent la maison familiale, financent quantité de travaux de leur commune, et depuis la crise, maintiennent à flot ceux qui n’ont pu partir, chacun dans sa famille. Tous ces gens bénéficiant de salaires et de retraites en euro verrait automatiquement leur pouvoir d’achat considérablement augmenter.  Être salariés ou pensionnés  en euro et payer en drachmes serait pour eux une sacré bonne affaire, un quasi doublement de leur pouvoir d’achat. Où est donc l’horreur d’un Grexit ?

                On peut toutefois reconnaître que la Drachme poserait des problèmes à l’importation. Payer un produit manufacturé allemand ou italien en drachmes c’est le payer deux fois plus cher. Mais ce qui est vrai pour l’importation est vrai aussi pour l’exportation qui sera nettement plus compétitive. Les produits grecs devenant attractifs doperaient l’économie, d’autant que les Grecs ne manquant pas de compétences pourraient très bien reprendre des productions qui avaient été abandonnées du fait de la crise. Il aura fallu beaucoup de temps, mais je rencontre de plus en plus de Grecs qui ont compris l’arnaque d’un euro “bon pour eux” ! 

 

                Les Grecs ne sont pas les seuls à se laisser berner par des mensonges habillés d’évidences. L’exemple des retraites par répartition est typique. Pour tout le monde, les retraites sont payées avec les cotisations des actifs. Si le nombre des retraités augmente et que celui des actifs diminue, il faudra bien partager une somme moindre entre plus de monde et donc compléter ces retraites par des systèmes de capitalisation.

                Cette démonstration parfaitement logique mais absurde est l’œuvre d’Edouard Balladur, Premier Ministre en 1993. Elle est absurde parce que les retraites sont fonction de la productivité du travail, non de la quantité de travailleurs et encore moins de la durée de cotisation. Mais Balladur avait du talent et quelques petits croquis, quelques chiffres bien choisis ont fait avaler la couleuvre au plus grand nombre. Rares ont été les économistes de métier qui ont parlé de l’accroissement de la productivité et encore moins de son rapport avec les retraites. Peu à ma connaissance ont posé la question de savoir comment furent payées les premières retraites en 1945 alors qu’aucune cotisation n’avait jamais été perçue par l’État et dans le contexte d’une économie d’après-guerre exsangue. Vingt-cinq  ans plus tard, la couleuvre balladurienne fonctionne toujours. Chapeau l’artiste !

                D’autres arnaques ont la vie dure comme ce fameux PIB auquel plus personne ne croit mais qui est invoqué par tous comme seul moyen d’évaluer l’état de santé de l’économie. On peut citer aussi la fameuse rigidité structurelle qui conduit au chômage, à la récession, à la perte de compétitivité. On ne peut oublier l’ineffable  slogan “travailler plus pour gagner plus” (il fallait réellement n’avoir jamais réalisé un travail productif pour l’oser !). Un jour,  un historien de l’économiste finira bien par en faire la liste exhaustive. 

 

                 

                       

                Conclusion

 

  • La réalité d’un risque d’effondrement n’est plus une vue de l’esprit mais bel et bien Le risque majeur de notre époque et cela à l’échéance d’une ou deux décennies, ce qui est très peu pour s’y préparer.
  • Chaque problème évoqué qui nous mène dans l’impasse et vers cet effondrement repose essentiellement sur le choix fait historiquement par notre civilisation de l’échange marchand, lequel a été acté par le plus grand nombre au point de devenir un dogme non discuté.
  • L’échange marchand impose l’argent, lequel n’aurait pas de sens sans le profit. La caractéristique essentielle de l’argent étant sa capacité à se condenser, il était inévitable qu’il devienne l’arme majeure d’un unique pouvoir oligarchique. 
  • Toutes les solutions dans ce cadre marchand ont été tentées, toutes les approches philosophiques, religieuses, organisationnelles ont été expérimentées, pour toujours en arriver aux mêmes résultats.
  • Le système marchand a induit le mythe du grand, du puissant qui serait l’idéal, et ce en dépit de l’effondrement de tous les Empires qui ont précédé notre mondialisation.
  • “Le processus à l’issue duquel les besoins de base ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi” comme le définit Yves Cochet, est en marche et promet un beau chaos.

 

                La seule incertitude réside dans l’événement qui enclenchera ce processus, ou dans la suite “d’accidents” qui le rendra irréversible. Certains pensent à une crise financière majeure, cette fois impactant le monde entier que nous avons laissé se globaliser, donc sans recours possible d’un État plus puissant ou d’une Institution internationale (inflation, déflation, dette excessive, fin de toute croissance…, les scenarii vraisemblables sont nombreux.

                D’autres pensent à une crise politique due au gouffre qui s’accroit de jour en jour entre les élites censées être lucides et les peuples qui prennent conscience de l’illégitimité croissante du pouvoir de ces élites. Il est flagrant de voir les abstentionnistes, tous pays confondus, devenir peu à peu majoritaires et réclamer une reprise en main directe des modes de décisions. Combien de temps le modèle de la démocratie représentative, même mâtiné de totalitarisme, peut-il tenir, et à quel prix ?

                D’autres pensent que la dégradation de l’environnement sera la goutte d’eau faisant déborder le vase. Il est vrai que le réchauffement, la montée des eaux, la diminution des ressources, suffit à envisager le pire scénario catastrophe.  

                Pour autant, les réponses tardent à être formulées. Les dystopies sont tellement plus simples à élaborer que les utopies, et tellement plus attractives… Les collapsologues nous alertent, des milliers de scientifiques aussi, quelques survivalistes se préparent à la guerre de tous contre tous, dans des bunkers dorés ou tels Rambo dans les bois. Les décroissants oublient trop souvent de se projeter dans un avenir et peinent à associer leur sobriété heureuse avec la fin du système marchand, les politiques restent englués dans leurs stratégie de pouvoir comme si Simone Weil n’avait pas écrit sa “Note sur la suppression générale des partis politiques” en 1941. Les écologistes, les plus à même de comprendre d’où viennent les problèmes qui motivent leurs combats, se perdent dans ces mêmes combats particuliers et en oublient de penser ce qu’il adviendrait si les causes étaient supprimées.

                Seul le penseur Anselm Jappe[1] parvient, à la fin de son livre “La Société autophage”, à dire clairement où est le problème et dans quel sens il faut œuvrer. Malheureusement, par peur de se perdre dans un “programme”,  peut-être de se projeter dans un avenir où plus rien n’est sûr, il s’en tient à une phrase et ne va pas plus loin. Rendons lui grâce toutefois d’avoir osé écrire : « L’abolition de l’argent et de la valeur, de la marchandise et du travail, de l’État et du marché doit avoir lieu tout de suite, - ni comme un programme “maximaliste” ni comme une utopie, mais comme la seule forme de réalisme… »          C’est exactement ce que nous prétendons possible et réaliste quand nous parlons d’Accès et que nous développons tout au cours de ce blog.  

 

[1] Anselm Jappe, La Société Autophage, éd. La Découverte, 2017.

 

Commenter cet article