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Désargence.over-blog.com

l'impasse environnementale...

26 Novembre 2019, 10:57am

                Le slogan “agir local et penser global” me vient à l’esprit, parce que c’est une incohérence dont le succès étonne. L’environnement est forcément global, il ne connaît pas de frontières, mais il ne se satisfait pas d’une belle réalisation miniature et locale. On ne voit pas bien comment le local suffirait, à moins d’imaginer qu’il fasse tache d’huile, qu’il phagocyte miraculeusement, de proche en proche suffisamment de territoire pour lui aussi devenir global et gagner l’ensemble de la planète.

                Organiser un jardin partagé de quartier peut être éminemment éducatif, créer une mode, fédérer des militants et en susciter des nouveaux, mais on voit mal le poids qu’il pourra avoir sur l’agro-industrie à l’échéance de dix ans. Quand bien même l’exemple entraînerait la création de milliers de jardins bio collaboratifs, il serait trop tard, nous serions tous en plein chaos.   

                Le lowtech, l’initiative locale, le commerce équitable, l’alternative économique ou sociale, tout cela agit trop lentement et en tous les cas bien moins vite que les dégâts causés par les tenants du vieux monde. A peine une technologie, une initiative, un nouveau modèle émerge qu’il est aussitôt récupérer, et avec des moyens que le local n’aura jamais.

                L’éolien est sans doute l’un des plus beaux exemples. Cette source d’énergie vieille comme le monde (vraisemblablement 700 ans avant J.-C.) est dite renouvelable. Certes, le vent manque parfois, mais il revient toujours, quelle que soit la quantité de moulins. Mais nos éoliennes industrielles ne sont plus de simples moulins. Elles ont selon l’ADEM[1] une durée de vie estimée à 20 ans. Or, il aura fallu une énergie considérable pour la construire, utiliser des métaux rares, la poser sur d’énormes socles en béton. Certains esprits chagrins affirment que cette “énergie grise” est à peu près égale à celle qui sera produite. Vous avez dit renouvelable… ? Pour l’énergie utilisée oui, mais pour l’ensemble du processus, évidemment non.

                Le principe de l’éolien industriel n’est pas local. Il s’intègre dans un énorme réseau de distribution qui perd en cours de route 20% de la production. Produire de l’énergie par de petites éoliennes en prise directe avec l’usager serait bien plus cohérent. Réinjecter cette énergie dans le réseau est presque aussi absurde écologiquement qu’une centrale nucléaire. Pourtant les luttes contre les champs d’éoliennes s’appuient plus souvent sur les nuisances sonores, sur la défense des oiseaux qui se font prendre par les pâles  que sur le système global auquel elles s’intègrent.

                L’hydraulique aussi repose sur le même contre-sens. Produire de l’énergie en élevant un énorme barrage, cela signifie toujours une vallée inondée, des villages déplacés, des écosystèmes fragiles menacés. Chaque barrage a suscité des résistances, toujours étouffées par l’argent ou des promesses illusoires, par des grands discours sur le progrès, sur le risque d’un retour à la bougie et la caverne préhistorique sans barrage.

                En réalité, le choix a été fait entre de petites dérivations sur les cours d’eau, alimentant en énergie de petites turbines pour de petits usagers. Jadis les moulins à eau était partout pour moudre les grains, forger le fer, presser le papier, rouir les fibres. Elles ne causaient pas ou peu de nuisances environnementales. C’était un autre choix, un autre modèle industriel, décentralisé, non productiviste. Ce choix avait sa part d’ombre et a été caricaturalement dénigré pour imposer l’industriel moderne. J’ai découvert par hasard un règlement communal, dans une petite ville du Midi possédant un cours d’eau, où déjà on se plaignait de la pollution. Les Consuls de la ville ont donc organisé un ordre d’usage de l’amont à l’aval selon le degré de pollution : le captage de l’eau potable, puis le trempage des bois et des fibres, puis les moulins à grains et martinets, les lavandières, et enfin les pollueurs tels que les tanneurs et les équarisseurs. Les pêcheurs, principaux plaignants en furent très satisfaits et purent continuer à pêcher le saumon, là où aujourd’hui pêcher le moindre gardon devient un exploit ou une chance inouïe !

                Toutes ces industries prospéraient, parfois sur un plan national (la fabrication des chapeaux de feutres par exemple), parfois à l’international (le vert de gris servant à la teinture en bleu des étoffes était exporté jusqu’en Hollande). La folie productiviste et le rêve du charbon à tuer la ville et son industrie, sa rivière aussi… Plus de chapeaux de feutres, le griset remplacé par une molécule chimique, juste un musée ethnographique pour rappeler la notoriété ancienne et le savoir-faire de la ville.

                On ne peut clore cette réflexion sans penser également à toutes les cultures industrielles pour l’agro-carburant, la nourriture du bétail, l’huile de palme indispensable aux plats réchauffés dans nos micro-ondes…  Pour cela, il faut détruire définitivement des milliers d’hectares de forêts primaires, tuer l’agriculture vivrière des paysans, priver de refuge quantités d’espèces animales en Amérique latine, en Afrique, dans l’Asie du Sud-est. Il faut corrompre les gouvernants pour qu’ils cèdent ainsi leur patrimoine, assassiner les résistants locaux qui militent sur le terrain.

                Le pire, c’est que l’ampleur du désastre pour ces cultures inutiles rend dérisoire la défense d’un coin de forêt contre une bretelle d’autoroute, le refus des compteurs intelligents qui seraient nocifs pour la santé, la sauvegarde d’une zone humide qui ferait un si beau parc d’attraction, et tant d’autres “détails”. On peut même se demander si tous ces combats dispersés ne font pas le jeu des industriels : “Choisissez votre combat, engagez- y toutes vos ressources, et laissez-nous détruire en grand, polluer en masse, et réaliser des profits dont vous ne pouvez avoir idée tant ils sont juteux !”

                Non et encore une fois non, on ne peut être écologiste dans le cadre d’une économie marchande, même durable, solidaire, équitable. Ces appellations oxymoriques ont été inventées pour nous cacher l’essentiel, pour habiller l’injonction capitaliste : “Si vous gênez mes profits financiers, je vous coupe les vivres !” Et la seule réponse est : “Vos profits financiers seront votre perte, vous sciez allègrement la branche sur laquelle vous êtes assis, vous finirez au musée des antiquités comme les célèbres chapeaux de feutres des Cévennes !”

 

[1] ADEM : Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie.

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