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ABÉCÉDAIRE Lettre Pa-Pom

1 Décembre 2019, 15:11pm

P

Paix : A l’approche de la Grande Crise, il paraissait évident que s’en était fini de la paix dans le monde, de la sécurité dans les villes, de la protection des individus. L’homme étant ce qu’il était, ce serait la foire d’empoigne pour le peu de nourriture disponible ou le carburant encore en circulation. Les armées et polices seraient débordées par des hordes sauvages pillant, rançonnant et violant tout ce qu’elles rencontraient.

                Si la transition entre la société marchande et la société de l’Accès n’a pas totalement évité les guerres, les famines et la résurgence de maladies oubliées, on s’est vite rendu compte que ceux qui s’en sortaient le mieux dans cette situation de désorganisation totale, étaient ceux qui se regroupaient, qui mutualisaient leurs compétences, qui pensaient intérêt général et non intérêt privé. On s’est rendu compte également que la peur rend parfois sage, que l’égoïsme paye moins que l’empathie, que cette fameuse nature de l’homme est surtout conditionnée par un instinct très primaire de survie. Si la générosité permet de survivre mieux que la violence, ce sont les qualités de partage et d’entraide qui prennent le pas sur la force et la violence. La morale, la raison, le calcul ont eu très peu à voir avec ces nouveaux comportements inattendus, donnant en partie raison aux théories développées par le “survisme”.

                Une des choses importantes qu’a permis l’abolition de l’argent et de l’échange marchand, a été le constat que l’homme était fondamentalement resté plus animal que “dénaturé”, plus social qu’individualiste. Les bancs de sardines humaines ont mieux résisté que les requins, les fourmis besogneuses ont plus construit que les prédateurs qui tous finirent superbement isolés et démunis.

                On a également constaté ce qui avait été nié depuis la nuit des temps, il y a une limite à l’expansion d’un groupe humain. Si l’Ancien Régime s’est cru capable de rassembler des dizaines de millions d’individus dans des mégalopoles, c’est uniquement par des pratiques d’une violence et d’une répression folle. Les villes aujourd’hui ne dépassent pas cinq mille habitants, une organisation sociale, qu’elle soit administrative ou productive ne s’étend guère au-delà d’un rayon bien défini, contrôlable et pensable par tous. Le too big to fail c’est transformé en too big to live !              

 

Paradigme révolutionnaire : Dès le début du XXIe siècle, le débat de fond face aux crises multiples qui s’enchaînaient a été celui de définir un nouveau paradigme révolutionnaire. La gauche ayant failli, la droite menait clairement la guerre de tous contre tous, et le centre de l’échiquier politique s’obstinait à proposer la même soupe, avec les mêmes légumes, les mêmes recettes.

                Les uns proposaient de décoloniser l’imaginaire, d’autres de réveiller les consciences. Les décroissants voulaient plus de liens et moins de biens. Le politologue Paul Ariès parlait de la gratuité de l’usage et le renchérissement du mésusage. Beaucoup cherchait un projet désirable et  concret et proposait le revenu universel qui assurerait à tous les besoins essentiels. Les historiens cherchaient ce qui structure fondamentalement les sociétés et la plupart ne voyaient que des interdits primitifs : la royauté s’était fondée sur l’interdit du régicide ; la bourgeoisie s’était fondée sur l’absolu respect de la propriété privée ; le capitalisme avait élevé la gratuité au rang de tabou… C’était donc la gratuité qui en était la faille et l’angle mort par lequel il pouvait être abattu, la fissure qui pouvait être peu à peu élargie, au point de faire société.

                Les tenants de la désargence étaient victimes de leur radicalité. Prendre l’argent, l’échange marchand, le profit comme seul paradigme à éradiquer, changeait trop de choses à la fois, bouleversait un univers mental trop ancien pour être abordé sans réticences, sans affolement de la pensée. C’était pourtant eux qui avaient raison mais d’une raison non raisonnable. Seuls ceux qui en avaient vécu l’expérience comme les Zadistes, les quelques marginaux ayant fait le choix de se passer d’argent, seuls quelques aventuriers de la pensée logique pouvaient y adhérer.

                C’est la réalité, la nécessité de répondre en urgence à des contraintes de reproductions matérielles qui a permis le grand renversement, qui a fait passer l’humanité, de la recherche d’un paradigme révolutionnaire à l’expérimentation d’une révolution paradigmatique…       

 

Paradis fiscal : Les paradis fiscaux était des lieux où les classes dirigeantes plaçaient leur fortune pour échapper aux impôts de leur pays d’origine. Certains petits États s’étaient spécialisés dans cette fonction (Îles Caïmans, Panama, Singapour…). Sous la pression sociale, les grands États ont été contraints de lutter contre les paradis fiscaux. Mais les enjeux étaient tels que cette lutte se limita à déréguler à un point tel ces gouvernements qu’ils proposaient autant d’avantages que les anciens paradis. Ce fut le cas du Luxembourg et de l’Irlande, par exemple. Vieille tactique consistant à réformer en surface pour que rien ne change en profondeur…

                La tentation pour les riches d’échapper à l’impôt s’est avérée impossible à empêcher autrement qu’en la déguisant en “optimisation fiscale” légale. Les gens ordinaires ne pouvant jamais bénéficier de cette optimisation, cette pratique a fortement contribué à accroître les inégalités. La seule solution était d’abolir la monnaie, mais il a fallu être dans l’impasse pour s’y résoudre.

 

Parcs nationaux : Sous l’Ancien Régime, pratiquement tous les États possédaient un ou plusieurs parcs nationaux, sortes de réserves, de zones protégées des atteintes humaines qui ravageaient le reste de la planète. Ces parcs étaient censés préserver une nature sauvage, avec sa biodiversité animale et végétale. Ils furent largement soutenus et financés par les organisations écologiques, acceptés et reconnus par l’ensemble des populations…, sauf par ceux qui  vivaient depuis des générations.

                En effet, si ces parcs étaient généralement peu habités, la plupart du temps, ces populations autochtones en ont été chassées, parfois sur une simple pression économique, souvent par la force. Plus ces populations étaient aussi sauvages que la zone que l’on voulait ré-ensauvager, plus les conflits ont été violents. Ce fut le paradoxe érigé en principe vertueux. Les objectifs étaient décidés par l’homme moderne qui ailleurs polluait et détruisait à tout va au dépend de tribus qui avaient préservé la nature depuis des siècles. Certes il était louable de vouloir sauver les tigres de l’Inde, les éléphants d’Afrique ou la flore amazonienne, mais pourquoi en chasser ceux qui les avaient préservés tant que l’homme blanc et capitaliste le leur avait permis ? Le comble de l’hypocrisie s’est vue en Amérique latine avec l’implantation massive de colons étrangers (parfois des indiens eux-mêmes déplacés par l’accaparement des leurs terres lointaines au profit de l’agro-industrie). Ces nouveaux arrivants ne savaient pas vivre avec les animaux sauvages, Il fallait les en protéger. Les peuples locaux eux, n’ont jamais craint le jaguar ou le serpent, ils savaient cohabiter.

                C’est ainsi que l’on vit des associations écologistes participer activement à la défense du jaguar, du tigre ou de l’arbre à encens, quitte à exterminer des tribus entières. En outre, ces zones sanctuarisée dans un premier temps sont presque toutes devenues des attractions touristiques sillonnées par des hordes de quatre-quatre, parsemées d’écolodges pour occidentaux en mal d’exotisme.

                L’idée même de constituer un parc naturel est devenue complètement obsolète depuis que la planète entière est redevenue naturelle, que l’homme n’a plus l’obligation de l’exploiter et surtout plus aucun intérêt à la saccager. Quand l’homme sort de sa ville, de son village, qu’il échappe à son univers artificialisé par nécessité, il le fait avec prudence et respect. Depuis qu’il n’y a plus aucun impératif à réaliser des grands projets inutiles et imposés comme jadis, la nature a repris ses droits, l’homme et le jaguar aussi !

          

Partage : Le partage équitable était  l’enjeu du communisme, du socialisme, mais aussi des religions pour qui le partage remplaçait la justice. Les richesses du monde, appartenant à tous, devaient être partagées comme un gâteau entre convives. L’idée que les parts du gâteau soient inégalitaires, que le partageur favorisa l’un plutôt que l’autre, a alimenté toutes les revendications sociales depuis la nuit des temps, depuis l’institution du jubilé dans la bible jusqu’au 1% des riches dénoncé par Occupy-Street.

                Un tel usage du mot partage montre bien que la notion est suffisamment floue pour s’adapter à tous les temps et toutes les situations et ne répond donc pas aux enjeux particuliers. Une société qui “partagerait” dans un monde aussi sophistiqué que le nôtre induirait un grand maître, porteur du couteau et de la pelle à gâteau qui, de facto, possèderait un pouvoir inique. Le conflit entre égalité et égalitarisme serait permanent. Dès que l’on parle de partage, entre en lice la notion de besoins (il y a  de gros et de petits mangeurs) et avec elle des conflits d’intérêts infinis. C’était politiquement une fausse bonne idée qui pouvait mener autant au totalitarisme le plus sauvage qu’à une absurdité administrative établissant des “normes“ de ressources et de besoins tatillonnes. Ce sont les raisons qui ont conduit la désargence à complètement éliminer cette sympathique idée de partage !

                Aujourd’hui, la notion de partage a été rendue obsolète par la généralisation de l’accès à tous les biens et services, mais ce nous qui paraît évident ne l’a pas toujours été, même chez les meilleurs. En septembre 2018, le charismatique député d’opposition François Ruffin fit un étonnant discours devant le parlement pour réclamer plus de partage, plus de redistribution. Non seulement Ruffin était brillant et convaincant mais il vivait ce qu’il disait. Il fut le premier (à ma connaissance) à refuser son confortable salaire de député. Il se réservait l’équivalent d’un salaire d’ouvrier et reversait le surplus à des associations. Mais rien n’y fit et le député Ruffin, malgré son talent, ne connut jamais le juste partage du gâteau !            

 

Partis politique : Sous l’Ancien Régime les partis politiques, classés de l’extrême droite réactionnaire à l’extrême gauche révolutionnaire,  étaient censés représenter l’opinion du peuple dans sa diversité. C’est dans les partis que se recrutait l’essentiel de la classe politique (maires, conseillers, députés, sénateurs, présidents…).  Cependant, la formation aux carrières politiques de haut niveau passait la plupart du temps  par des cursus scolaires précis (Ecole Nationale de l’Administration, Sciences-Po, Polytechnique…) et c’était dès la période d’étude et en fonction des opportunités du moment que se décidaient les orientations politiques.

                Ce système a été dénoncé dès 1940 par la philosophe Simone Weil, dans ses “Ecrits de Londres” : “…jamais le peuple n'a l'occasion ni le moyen d'exprimer un avis sur aucun problème de la vie publique” […]  “Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres. La première fin, et, en dernière analyse, l'unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.”  […] “La pensée collective est incapable de s'élever au-dessus du domaine des faits. C'est une pensée animale.” […] “Les partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice.” […] ”L'institution des partis semble bien constituer du mal à peu près sans mélange. Ils sont mauvais dans leur principe, et pratiquement leurs effets sont mauvais. La suppression des partis serait du bien presque pur.”

                Malheureusement, Simone Weil n’a été ni comprise ni entendu. Aucune argumentation, aucune analyse, aucune observation de la réalité n’a pu convaincre de l’inanité des partis politique. Il a fallu attendre l’abolition de l’argent et ces implications dans l’idée de hiérarchie et de centralisation, pour que les partis politiques tombent d’eux-mêmes en désuétude. 

 

Pêche : A la fin de la civilisation marchande, la surpêche pour le profit des énormes bateaux-usines et la pollution des mers et des océans avaient anéanti l’essentiel de la ressource halieutique. Non seulement les techniques telles que les filets électrique détruisait toute vie autour d’eux mais les normes commerciales définissant l’espèce et la maille des poissons induisait un énorme gaspillage. On estimait que la quantité des poissons rejetés en mer dans le monde aurait pu nourrir l’Europe entière pendant deux ans !

                La solution choisie pour remplacer le poisson sauvage fut d’abord l’aquaculture. Or, il fallait un kilo et demi de poisson sauvage pour produire un seul kilo de poisson d’élevage. On prit donc l’habitude d’alimenter les bassins de production avec de la nourriture industrielle à base de farines végétales bourrées d’antibiotiques. La qualité s’en ressentit sérieusement et les conséquences sanitaires finirent par coûter plus que ne rapportait le système.

                Sans la révolution monétaire, la pêche aurait complètement disparu et les océans seraient devenus des cloaques nauséabonds et improductifs avec toutes les conséquences pourtant bien connues sur tous les autres écosystèmes de la planète. L’humanité n’aurait sans doute pas survécu à la catastrophe. Hors de l’enjeu du profit financier, la pêche s’est relocalisée, laissant les grands fonds et le grand large remplir la fonction régénératrice. La fin des chaluts traînants qui raclaient et détruisaient les fonds marins, a permis l’installation de récifs artificiels et a favorisé la reproduction, la reconstitution d’espèces en voie de disparition.

                Il est évident que les modes de consommation du poisson ont considérablement changé. Les espèces jadis dites nobles ne sont plus conditionnées sous forme de surgelés et distribuées d’un bout à l’autre de la planète. Si les Canadiens consomment beaucoup de saumon, les Français s’en passent au profit du maquereau, de la dorade, de la sole.  Le poisson séché ou salé a repris du galon pour son transport et sa conservation aisés. Mais surtout, les gens se sont habitués à manger ce qui est disponible en fonction du lieu et du moment, ont réappris à cuisiner ce qui jadis était négligé et rejeté…         

 

Performance : L’un des arguments les plus récurrents que l’on entendait à l’encontre des abolitionnistes avant la Grande Crise, c’était celui de la performance. L’argent garantissait, pour n’importe quelle entreprise, des performances qui disparaîtraient immédiatement sans l’appât des profits financiers. Pourtant, nous avions sous les yeux quantités de contre-exemples. Pour n’en citer qu’un, la belle histoire de Rajendra Singh  en est l’illustration. Elle nous a été relatée par la journaliste Bénédicte Manier dans son livre “Un million de révolutions tranquilles” :

                       Ce fonctionnaire de santé indien vivait dans l’Etat du Rajasthan, au centre d’une vaste zone de désertifiée par l’application de la si performante “Révolution verte”. Il travaillait depuis 1985 dans un village près de Jaïpur, district d’Alwar. Dès son arrivée il constata la malnutrition des habitants, les problèmes d’eau potable, le fort exode rural. Le sol était sec et aride et les pouvoirs publics avaient définitivement abandonné la région à son triste sort, s’avouant incapables de proposer une quelconque solution technique malgré ses agronomes, ses hydrauliciens, ses experts de la “révolution verte”. Rajendra, lui, ne baissa pas les bras. Après consultation des anciens il découvrit une vieille technique de captation des eaux de pluie appelée “johad”, déclarée inefficace et insalubre par la science moderne.

                      Seul, il se met à creuser rigoles et bassins et réalise son premier johad en trois ans d’un travail épuisant. Les villageois constatent alors que le système de Rajendra fonctionne et se mobilisent. Plus de 26 ans plus tard, ils ont créé un réseau de 10 000 structures (bassins, canaux, barrages) qui desservent 700 000 habitants dans un millier de villages. Les nappes phréatiques sont remontées, les rivières à sec se sont remplies d’eau, le paysage est devenu verdoyant, on y fait deux à trois récoltes par an. Cerise sur le gâteau, les poissons sont revenus dans les rivières apportant un complément alimentaire non négligeable.

                      Les autorités se sont alors précipitées pour encaisser la taxe sur la pêche qui est prévue en Inde et se sont fait expulsés par les habitants qui ne devaient leurs poissons qu’à leur sueur et à leur persévérance, envers et contre tous, à commencer par les gens de la ville ! Où était l’argent là-dedans?  Rajendra n’en a payé comme prix que l’hostilité de son ministère de tutelle qui trouvait qu’il perdait son temps au lieu de travailler à sa fonction, les ricanements des scientifiques et, les premières années, le scepticisme des villageois... 

                      L’idée de performance existe toujours mais n’est plus fonction du profit généré mais du bien être procuré. Elle s’applique bien plus à ce que font des individus ou des collectivités qu’à ces personnes elles-mêmes. Aujourd’hui on dirait aisément que le système des “johads” est performant, plus rarement que Rajendra Singh a réalisé une belle performance !   

 

Peuple : Le terme de Peuple, avec une majuscule, a été d’autant plus utilisé qu’il a été dévoyé.  A la fin de l’Ancien Régime, les politiques était à ce point assujettis à l’économie qu’ils en avaient perdu toute conscience. Mais, toujours soumis à la délégation du peuple ils ne pouvaient perdurer qu’en disloquant ce peuple. De fait le terme de peuple qui représente une entité sociale partageant une culture, une histoire, des lois communes, est devenu dans les esprits “la populace” et quiconque défendait le peuple a été taxé de “populisme”. Le peuple ne pouvait rien comprendre la complexité du monde, aux  impératifs de la réalité à laquelle sont confrontés les politiques.              

                      L’intelligence n’étant plus nécessaire à l’homme politique, elle devint suspecte chez l’homme du peuple. Les experts ont remplacé la pensée du politique et du peuple ! Sachant que les peuples se mettent à réfléchir dès qu’ils se constituent en une communauté, ce qui fut bon pour le libéralisme fut tout ce qui désagrégeait les velléités de communauté, ce qui fut mauvais, tout ce qui tendait à les rassembler. Pris individuellement, l’homme n’eut plus que la peur comme moteur, et la soumission à une instance qui le dépassait comme issue.    

 

Pivot : Base essentielle sur quoi tout repose, clef de voûte, axe. C’est exactement la fonction que remplissait l’argent dans l’ancien Régime. L’image du pivot de l’argent a été largement utilisée par les tenants d’une désargence qui, systématiquement, ont tenté de montrer comment n’importe quel sujet ou objet de la vie quotidienne, du plus prosaïque au plus poétique était impacté par ce pivot de l’argent. Rien ni personne n’y échappait, pas même les quelques individus qui avaient tenté de s’en débarrasser.

                   Quelques aventuriers ont pu se vanter de vivre sans le moindre sou pendant des années, y compris en voyageant ou en exerçant diverses activités. Ces exploits étaient “extra-ordinaires”, ce qui rappelait sans cesse “l’intra-ordinaire”. Ils n’échappaient donc pas totalement à l’empreinte de l’argent et n’étaient que la pellicule négative d’une image en positif de la réalité… C’est cette difficulté à sortir d’un cadre aussi contraignant que celui de l’argent qui mit en exergue le slogan devenu célèbre de Jean-Paul Lambert : “On arrête de ruser, on abolit !”    

 

Plan B : L’effondrement progressif du système monétaire a été accompagné par l’émergence de multiples “Plan-B” proposant de nouveaux modèles économiques et politiques : relocalisation de l’économie, gratuité étendue, placements éthiques, Amaps, SEL, trocs, banques de temps, crypto monnaies, distributisme, Revenus d’existence…. La liste de ces alternatives est considérable, sans qu’aucune ne remette réellement en cause les fondements du système.

Sur le plan politique plusieurs “Plan B” ont été proposés dont les plus célèbres, celui du Grec Alékos Alavanos qui proposait la sortie immédiate de l’Europe et de l’euro, celui du Français Jean-Luc Mélenchon qui proposait une nouvelle constitution nationale et une Europe radicalement transformée, démocratisée.

                      Aucun de ces “plans B” n’a réussi à percer, sans doute parce qu’ils laissaient entendre qu’un “Plan A” restait une option quand tout démontrait qu’une sortie complète du système politico-économique n’était pas un choix mais le seul réalisme possible. Toutes ces propositions anticapitalistes, altermondialistes, écologistes, libertaires, autogestionnaires…, gardaient en tête “l’esprit marchand”, une forme de capitalisme à visage humain, un système démocratique représentatif et non direct. Il a fallu beaucoup de temps et de réflexion pour comprendre qu’instaurer un label de qualité (bio, équitable, local…) n’était pas autre chose qu’accepter tacitement que l’on puisse produire et vendre des produits non labélisés d’une qualité déplorable !

                      Il a fallu du temps aux “casseurs de pub” pour entendre que la lutte anti publicité ne changeait rien au principe de la concurrence, aux promoteurs de monnaies locales qu’ils devenaient de facto des banquiers et des agents de change, aux fanatiques du troc et de la récupération qu’ils ne changeaient rien à l’échange.  Beaucoup de temps à tous pour entendre l’oxymore dans des expressions telles que “économie sociale et solidaire” ou “commerce équitable”… 

                      « A vouloir faire rentrer la justice dans les finances, ce sont les finances qui rentrent finalement dans la justice » écrivait Bernard  Charbonneau (penseur français, 1910-1996, membre de La Gueule Ouverte).       

                     

Points de vue : Plus la société s’est rapprochée d’un probable collapsus, plus les débats stériles se sont multipliés. Le droit de chacun à avoir son point de vue et l’intolérance vis-à-vis du point de vue de l’autre ont fait perdre beaucoup de temps et causé beaucoup de dégâts. Un humoriste eut un beau succès avec un simple dessin : deux hommes montrant un chiffre peint au sol. L’un était d’un côté et jurait qu’il s’agissait d’un 9, le deuxième de l’autre côté hurlait qu’il n’y entendait rien et qu’il s’agissait d’un 6 ! Pour établir la réalité de la situation, il aurait fallu que les deux protagonistes se déplacent, tournent autour du chiffre et puisse comprendre ce qu’il y avait de juste dans chacune de leur observation et d’erreur dans leur contestation…

L’abolition de la monnaie n’a pas été permise par l’intelligence des protagonistes ou par l’habileté rhétorique de l’un ou l’autre, mais, comme dans toutes les grandes révolutions, la désargence s’est imposée sans que nul ne puisse ni s’y opposer ni la promouvoir. L'arrivée du train à vapeur a connu les mêmes débats pour ou contre, les même rancœurs de ceux qui y perdaient leur métier (cochers, voituriers, maréchaux ferrants…), de ceux qui piaffaient d’impatience devant ces réactionnaires anti-progrès, et avec autant de violences que nos deux compères se battant devant un 9 ou un 6 !   

 

Police : Sous l’Ancien Régime, les corps de police étaient très différents de ce que l’on connaît aujourd’hui. Nationale ou municipale, la police était considérée comme indispensable et pourtant honnie par une grande majorité des citoyens. Certains corps spécialisés étaient particulièrement craints : La brigade anti criminalité (BAC), corps d’élite spécialisée dans le grand banditisme avait des pratiques dites de “cow-boys” ; les compagnies républicaines de sécurité (CRS) s’étaient taillé une sombre réputation dans la répression violente des manifestations politiques, des mouvements sociaux. Le simple policier de base, officiellement dénommé “gardien de la paix”, avait fini par perdre toute crédibilité auprès des populations qu’il était censé protéger. Les abus de pouvoir étaient constants : délit de faciès, arrestations arbitraires, violences, mise en garde à vue abusives, non-respect des règlements, corruptions… Il existait bien une police des polices (l’IGPN surnommé “bœuf-carottes” pour leur réputation de “cuisiner” longtemps les suspects) mais qui elle-même fut décrédibilisée par sa propension à couvrir les collègues plutôt que de défendre les droits des justiciables.

                Comment en était-on arrivé à une telle situation ? Le recrutement des policiers était-il douteux ? Le gouvernement instrumentalisait-il les policiers pour susciter un climat de peur ? L’encadrement des policiers était-il défectueux ? Les historiens mettent plutôt en avant des conditions d’exercices peu à peu perverties par des impératifs financiers, par une logique purement comptable de ces services. Les normes néolibérales appliquées à un corps de police ne pouvaient donner que ce résultat : nécessité de faire du chiffre, d’attester d’un nombre suffisant d’arrestations, de contrôles, d’enquêtes réussies ; flexibilité du personnel afin qu’il n’ait aucun lien affectif avec la population ; mise en concurrence des services, des personnels d’un même service ; privatisation de certains secteurs…

Et pour couronner le tout, la justice était elle-même soumise aux lois budgétaires capitalistes : baisse budgétaire sur le personnel administratif, sur la prise en charge des personnes sanctionnées, sur les établissements pénitenciers… Les policiers se plaignaient sans cesse d’arrêter des délinquants et de les retrouver libres le lendemain faute de place en prison ou de peines de substitution. 

                Aujourd’hui, une police est forcément de proximité, elle n’est pas “professionnelle” mais mandatée par une communauté pour une action précise, limitée dans le temps. L’action menée par une équipe de police est impérative en ce sens qu’elle est préalablement définie avec précision, que les acteurs doivent en rendre compte, qu’à tout moment ils peuvent être démis de leur fonction s’ils ne représentent plus les intentions de la communauté, parfois même radiés à vie s’ils ont outrepassé les limites du pouvoir qui leur a été momentanément conféré.  Et surtout, la fonction de police est toujours une charge librement acceptée et n’apportant aucun autre avantage à celui qui l’exerce que la reconnaissance des autres ou le sentiment d’avoir été utile. Et cela change tout…              

 

Politique : Voltaire disait déjà que la politique était “le moyen pour des hommes sans principe de diriger des hommes sans mémoire" ! A la fin de l’Ancien Régime, les principes ont été remplacés par les lois du marché, par l’économie.  La plupart des médias, les “chiens de garde” du système, disait-on, prenaient grand soin de ne jamais mettre un événement, un discours, un programme en perspective, d’en faire la généalogie. Ce que le politique disait aujourd’hui pouvait être en pleine contradiction avec ce qu’il avait dit hier. Il pouvait appuyer une démonstration avec des éléments du passé travestis, sans que personne n’aille ou ne puisse aller vérifier.

                La pire escroquerie intellectuelle a sans aucun doute été celle du réalisme, des limites que le réel posait au politique. Très peu de penseurs ont rappelé que tout était politique, y compris les choix économiques, l’échange marchand, l’écologie, la santé…, quand les politiques parlaient de nécessité !          

                Maintenant que la politique est à la fois l’outil de régulation des conflits et de l’établissement des choix à long terme qui seront osés par un consensus local, régional, national ou international, toute référence à une “politique” dans des documents de l’Ancien Régime est à replacé dans son contexte sous peine d’anachronisme.    

 

Pompes funèbres : Organismes chargés de l’organisation des obsèques. Jadis confiés aux municipalités, les obsèques ont été privatisées et sont devenues des “pompes à fric”, un marché d’autant plus juteux que rares sont les clients décédés qui reviennent se plaindre et que les proches, fragilisés en ce moment de deuil, sont prêts à tout pour offrir une sépulture décente au défunt !

Les grandes compagnies de pompes funèbres proposaient des prestations extravagantes : cercueils de chêne avec intérieur satin, poignées en cuivre pour le transport, thanatopraxie pour que la mort soit “présentable”, corbillard style limousine de star américaine, fleurs et couronnes, cérémonies religieuses ou civiles, caveaux en marbre pour les inhumations ou urne finement ciselées pour la crémation, dispersion des cendres en mer ou en montgolfière, voire transformation des cendres en diamant par chauffage et compression…

Les entreprises, même les plus sérieuses, tentaient d’imposer aux familles les factures les plus lourdes possible. On pouvait voir d’humbles familles ouvrières s’endetter pour dix ans avec des enterrements  ruineux, ne réalisant qu’après coup qu’ils s’étaient laissés abusés, qu’ils avaient cédés à des chantages affectifs, qu’ils n’avaient pas eu le moyen de choisir un enterrement à leur mesure. Une indécente escroquerie en bande organisée…

La pratique la plus subtile, a été celle des “contrats obsèques” que les gens souscrivaient de leur vivant afin de ne pas en laisser la charge à leurs enfants. Les contrats étaient obscurs mais paraissaient modestes quand ils étaient payés par mensualités, surtout en viager, c’est-à-dire chaque mois jusqu’au jour du décès. On a vu de pauvres vieux ayant payé 15 000€ de cotisations pour des obsèques coutant 4 000€ sans aucun recours possible par les héritiers ! La marchandisation de la mort a été sans doute un des aspects les plus froidement calculateurs du libéralisme.

                Aujourd’hui où le profit financier n’existe plus, les obsèques sont redevenues ce qu’elles n’auraient jamais dû cesser d’être, des moments d’intimité, d’hommage, d’accompagnement des proches qui n’ont rien à faire de poignées en cuivre et de linceuls satinés !       

 

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