La Cour Pénale Internationale.
J'ai reçu une invitation à signer une pétition en faveur d'un mandat d'arrêt de la CPI vis à vis de Vladimir Poutine, pour crimes de guerre, pétition que je ne signerai pas. J'y lis: …désormais, les États doivent mettre les moyens pour faire appliquer réellement ce mandat d’arrêt. …Soyons 2 millions à demander à la communauté internationale de traduire Poutine en justice. …Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, demande au reste du monde de créer un tribunal spécial. …Poutine et ses sbires ont déclenché une guerre illégale contre un voisin pacifique et nous pouvons les tenir personnellement responsables de ce crime dès maintenant. …Nous n'avons qu'à convaincre la communauté internationale de créer une cour pour les poursuivre, un tribunal qui a déjà jugé les dirigeants nazis. ...Le procureur de la Cour pénale internationale a annoncé mercredi soir "l'ouverture immédiate" d'une enquête sur la situation en Ukraine, où seraient perpétrés des crimes de guerre, après avoir reçu le feu vert de 39 États parties de la CPI.
Les termes de cette pétition me font peur. Les "tribunaux spéciaux" ne m'ont pas laissé de très bons souvenirs. Les guerres sont toujours "légales" dans la tête de ceux qui les font, d'un côté comme de l'autre, faute de quoi les États belligérants manqueraient vite de chair à canons. Je prends le "pacifisme" de l'État Ukrainien pour un effet de langage ayant, bien avant la douteuse invasion russe, entendu parler de bombardements sur le Dombass, et pas uniquement sur des groupes armés ou des cibles militaires et de quelques exactions peu recommandables des bataillons du régiment d'Azov. Et enfin, il n'est pas raisonnable d'utiliser le terme très précis de nazi à tort et à travers, à moins de vouloir insulter les victimes du dit nazisme. L'autoritaire et sans scrupules Poutine, formé par le KGB, est-il plus ou moins nazi que certains Ukrainiens qui se parent des symboles de cette idéologie? Dans mon jeune temps, on a déjà exigé de moi le choix entre Aron et Sartre alors que j'avais choisi Camus. Je ne suis toujours pas prêt à choisir entre Poutine et Zelensky!
Mais venons en au fait, aux pouvoirs de la CPI. Au terme de ses règlements, il serait théoriquement possible d'arrêter Poutine, à condition qu'il se rende dans l'un des 123 pays signataires du Statut de Rome, texte fondateur de la CPI. Mais faute d'une force de police sous ses ordres, il faudrait que l'État ayant reçu Poutine engage sa propre police pour l'arrêter, ce qui est pour le moins douteux. En outre, Poutine peut toujours envoyer à l'étranger des émissaires à sa place et rester tranquillement au chaud au Kremlin. Si l'application par la CPI d'un tel jugement était si facile, on aurait arrêté Saddam Hussein et Kadhafi au lieu de s'engager dans la guerre en Irak et en Lybie, et on aurait depuis longtemps arrêté Bashar al Assad, tout autant criminel de guerre que Poutine.
Ni l'Ukraine ni la Russie ne sont signataires de la CPI, ce qui implique que les deux belligérants doivent reconnaître la compétence de la CPI! Il y a eu un précédent avec le dirigeant soudanais Omar Al Bashir, lequel s'est rendu dans plusieurs pays africains, malgré un mandat d'arrêt de la CPI, et sans être inquiété… La Cour ne peut exercer sa compétence que lorsque les juridictions nationales n'ont pas la volonté et/ou la capacité pour juger des crimes internationaux (principe de complémentarité). Donc si la Russie a la volonté ou la capacité de juger Poutine, la CPI n'est plus compétente. Il est facile d'imaginer ce que les Russes peuvent faire de cette disposition…. La seule possibilité, c'est qu'il y ait un changement de régime en Russie, ce qui n'est pas à l'ordre du jour…
Quand bien même l'opinion publique pousserait la CPI à arrêter et juger Poutine, on sait que La cour de La Haye n'est pas réputée rapide dans ses jugements. Il y a toutes les chances que Poutine soit mort avant même d'être jugé… D'autre part, une enquête quelque peu sérieuse, à charge et décharge, amènerait vite La CPI à se poser des questions sur d'autres responsabilités dans la situation de guerre en Ukraine: celle des Américains qui via l'OTAN n'ont cessé de renier leurs propres engagements vis-à-vis de la Russie, celle du gouvernement Ukrainien qui est responsable de bombardements sur des populations civiles dans la partie russophone de son propre pays, celle des Européens qui ont tout de même une sérieuse responsabilité dans le dérapage de Poutine… La CPI est tout de même constituée de magistrats a priori sérieux et il serait naïf de croire que les débats, sur ce sujet plus qu'embrouillé par la mauvaise foi des uns et des autres, puisse se régler en quelques mois ni même en quelques années.
En conclusion, il y a deux thèses qui puissent expliquer cette soudaine exigence de sanction pénale. La première, c'est de la considérer comme un coup médiatique du président Volodymyr Zelensky, domaine où il excelle. La deuxième, c'est que cela relève de la "culture de guerre" qui tenterait de nous préparer à accepter comme juste et nécessaire une troisième guerre mondiale. Tous les ingrédients sont visibles actuellement dans les médias mainstream: l'obligation de choisir "le méchant" entre les Russes, les Ukrainiens et les Américains, sans mesure et sans nuances ; une crise économique en vue qu'il est plus simple d'attribuer au méchant désigné qu'à nos propres dirigeants politiques et financiers ; la droitisation d'une bonne proportion d'États qui trouveraient dans la guerre le bon moyen d'oublier les problèmes sociaux, environnementaux, énergétiques, politiques et économiques, de canaliser les revendications vers un ennemi bouc émissaire dans un grand élan national… Il est en effet difficile de ne pas faire quelques liens avec les deux premières "cultures de guerres qui nous ont été imposées en 14-18 et 39-45…
Quand quelqu'un vous demande la bourse ou la vie, Poutine ou Zelensky, Erdogan ou l'OTAN, Macron ou Le Pen, la peste ou le choléra, méfiez-vous, c'est un piège qui peut se retourner contre vous!...