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ABÉCÉDAIRE Lettre H

1 Décembre 2019, 14:58pm

H

Habitat : L’habitat a toujours été le problème des sociétés industrialisées. L’immobilier étant le moyen de spéculation et de thésaurisation privilégié des Français, le logement n’a cessé d’être de plus en plus onéreux. Les lois pour l’accession à la propriété favorisaient les plus riches qui pouvaient acquérir des appartements dans le seul but de les louer. En 2018, avec un prix moyen de loyer à 14€ le mètre carré, un simple studio de 30m² était loué 420€ par mois. Dans les grandes villes ou les lieux touristiques, ce prix pouvait doubler, ce qui les rendait inaccessibles à un travailleur moyen.

                L’État avait inventé l’APL (Aide Personnalisée au Logement) et prenait en charge un pourcentage du loyer en fonction des revenus du ménage. Cette pratique n’a fait qu’augmenter le prix moyen des loyers, les propriétaires arguant que l’APL compensait les coûts de location. En revanche, un propriétaire désirant acquérir un deuxième logement dans un but purement locatif était largement aidé, tant au niveau des prêts bancaires qu’au niveau des impôts. Il pouvait même acheter un appartement, le louer au prix du crédit et donc acquérir ce logement en vingt ans sans grand investissement de départ.

                Ce système spéculatif et accumulatif a abouti à des problèmes de logement impossibles à résoudre. Près de 4 millions de mal logés et 150 000 SDF (Sans Domicile Fixe) en souffraient en France. Les logements sociaux (HLM ou Habitation à Loyer Modéré)  étaient toujours insuffisants et les listes d’attente pour l’obtention de ces logements, généralement de mauvaise qualité, s’allongeaient continuellement.

                Le jour où l’argent a disparu, ce sont des millions de mètres carrés de logements qui se sont libérés, ne serait-ce que dans les bâtiments qui ne servaient qu’à a circulation de l’argent (banques, assurances, mutuelles, cabinets comptables, centres d’impôts, d’allocations familiales…), sans compter les millions de résidences secondaires qui, faute de pouvoir être louées, devenaient disponibles. Sans la nécessité de travailler, les mouvements de population ont été, dès les premiers mois, considérables : des lieux désertifiés se sont repeuplés, les centres villes se sont “dégentrifiés”, les cités de banlieues se sont vidées…

                Le problème des migrants a été grandement soulagé car on s’est vite aperçu que le parc immobilier disponible dépassait largement les demandes. Le fait de pouvoir satisfaire les besoins essentiels de tous, migrants ou locaux, allié à la résolution du problème de l’habitat a coupé l’herbe sous les pieds de bien des racismes, ostracismes et xénophobies si fréquents jadis.  

    

Handicap : Jadis, être handicapé dans une société monétarisée n’était pas simple. Pour des questions budgétaires, rares étaient les trottoirs adaptés à des aveugles, à des fauteuils roulants. Mais comme on attendait toujours que l’État et les collectivités locales prennent en charge des aménagements, c’était toujours après un combat acharné qu’une amélioration était décidée.

                Hors du salariat et de la nécessité de produire sans cesse et sans raison, ces aménagements ont été pris en charge par les premiers intéressés, leurs familles, leurs amis. Il ne viendrait pas à personne l’idée aujourd’hui de poser une marche sans pan incliné devant un immeuble, de poser un panneau en plein milieu d’un trottoir, de proposer un appartement avec étage à un paralysé !

                Pire encore que le handicap physique, le handicap mental était nié dans la plupart des cas. Dans la deuxième décennie du siècle, l’américain Daniel Tammet fit beaucoup pour cette cause. Lui-même atteint du syndrome d’Asperger, il réclama intelligemment le “droit à la neurodiversité”. Mais ce n’est que quelques années plus tard, la société enfin libérée du dictat du profit, qu’il fut écouté et entendu. Tant qu’il y a eu l’argent, Daniel Tammet fut accepté comme bête de cirque pour ses capacités à mémoriser les nombres ou les langues, mais jamais suivi dans les faits. En 2004, il fit le pari d’apprendre l’islandais en une semaine et de répondre en direct avec succès à une interview télévisée dans cette langue. Qu’il réussisse cet exploit a boosté la vente de ses livres mais n’a pas fait avancer d’un pouce la cause des autistes. L’abolition de l’argent, si !    

 

Hallucinogène : Substance chimique psychotrope qui induit des hallucinations, des altérations de la perception, mais sans causer de confusion mentale persistante ou de troubles de la mémoire. C’est ce que nous disent les dictionnaires à propos du LSD, de la mescaline ou des psilocybes. Utilisées dans les pratiques chamaniques mais aussi par les artistes ou par les toxicomanes, les dangers d’un tel usage a fini par le rendre illégal.

                Très peu de penseurs ont fait le parallèle, pourtant facile, entre les hallucinogènes et l’argent. L’argent est hallucinatoire par construction, en ce sens qu’il se substitue à la réalité des choses, qu’il les irréalise. C’est le prix qui détermine l’usage d’une chose, qui donne du prix à l’usage autant qu’à l’usager. La “vérité des prix” sans cesse évoquée sous l’Ancien Régime témoigne de cette distorsion de la réalité induite par l’argent. Qu’un salaire de grand patron soit mille fois plus élevé que celui d’un ouvrier était souvent qualifié d’hallucinant, le prix de certains objets de luxe ou objets d’art aussi. Les possessions de la minorité oligarchique la plus riche relevaient généralement de la possession diabolique ou psychédélique. Les plus acharnés à accumuler, à posséder, étaient souvent qualifiés de réalistes, de pragmatiques alors qu’il en arrivaient à être hors-sol, incapable d’appréhender la réalité la plus basique de ce qu’était la vie des autres, de ce qui avait de la valeur et a fortiori de la valeur non marchande.

                Ce n’est qu’à l’expérience, par le non-usage de l’argent, que l’aspect hallucinatoire de l’outil monétaire est apparu clairement. Les jeunes n’ayant jamais connu le monde marchand ont de plus en plus de mal à se figurer les implications de l’argent-psychotrope, même en visitant les musées de la monnaie ou en lisant les travaux des historiens post-monétaires. 

    

Héritage : L’héritage était une conséquence directe de la propriété privée. L’insécurité matérielle incitait un père de famille à léguer ses biens à ses enfants et les déshériter apparaissaient comme une monstruosité. Pourtant, l’héritage ne faisait qu’accroître les inégalités. Quand l’un partait dans la vie avec aucun bien, l’autre naissait avec une cuillère en argent dans la bouche, comme disait une expression de l’époque monétaire. La richesse appelant la richesse, les héritiers étaient toujours favorisés par rapports aux autres.

                Aujourd’hui, après chaque décès, une commission est réunie composée de proches du défunt et de membres nommés ou tirés au sort dans la communauté locale pour décider ce qui reviendra de droit aux survivants (objets de première nécessité ou à valeur sentimentale…) et ce qui doit être remis dans le pot commun pour le bien de tous, en particulier les plus faibles. La perte d’un bien, au profit d’un nouvel arrivant dans la communauté (un émigré de l’intérieur ou de l’extérieur, un invité pour une tâche particulière et de longue durée pour laquelle sa compétence était nécessaire, etc.) provoque rarement des conflits puisque la notion de besoin a quasiment disparu au profit de l’usage. En revanche, la définition du bien à valeur sentimentale a toujours été plus floue et sujette à débat.

                Un collectif d’étudiant en sociologie a produit sur l’héritage une intéressante réflexion : Dans le monde de l’argent, le fils héritait de la terre de son père.  C’est toujours dans ce sens que la relation entre l’homme et le bien a été pensée, y compris dans les débuts de la société a-monétaire. Le simple fait de l’abolition a renversé peu à peu cette relation dans les mentalités et on en est revenu à celle qui dominait au Moyen Âge, la terre hérite d’un nouvel usager.  Le rapport entre hommes et choses s’est inversé sans que personne ne l’ai décidé. La chose vient s’ajouter au corps d’un être humain pour constituer la personne à laquelle il s’identifie, constatation plus proche de l’animisme que de la tradition judéo-chrétienne… ! 

     

Histoire : “Tant que les lapins n’ont pas d’historiens, leur histoire est racontée par les chasseurs” écrivait Howard  Zinn (historien américain, 1922-2010). Les humains ont eu des historiens mais n’ont jamais raconté l’Histoire que du côté des vainqueurs, des puissants. Pourtant, le courant de la micro-histoire est apparu dès les années 1980 avec l’étude de la vie quotidienne, des classes les plus modestes, des ouvriers, des femmes… Ces chercheurs de “l’histoire d’en bas” sont malheureusement restés marginaux tant que l’argent fut nécessaire pour se faire éditer, tant qu’aucune thèse universitaire ne pouvait être financée si elle mettait en cause son propre financement…

                “Le Moyen Âge et l'argent : essai d'anthropologie historique”, (Jacques Le Goff, Perrin, 2010) a eu un certain impact. Selon Le Goff, l’argent n'était clairement pas au Moyen âge une entité économique, sa nature et ses usages relevaient plutôt de conceptions non-économiques. L'argent était limité à la monnaie (il n'existe pas de mot argent dans les sources, les textes parlent toujours de telle ou telle monnaie particulière ; on trouve souvent par exemple le mot denaio = denier). Il insistait sur l'importance au Moyen âge d'une économie du salut et du don, du fait de la domination de la religion. Le Goff reprend l'idée que “la diffusion de la monnaie au Moyen âge est à replacer dans un élargissement du don”, cet amour de Dieu dans l'homme qui met la charité partout dans les têtes.

                Avec la chute de l’argent, de la valeur, des hiérarchies, l’histoire “des gens d’en bas” a pris un essor considérable. Des quantités d’archives ont été exhumées (judiciaires, policières, hospitalières, notariales…) qui n’avaient jamais été analysées, parfois même ouvertes. Les historiens, après des années de compilation de données, ont fini par découvrir des liens entre cette histoire populaire et la Grande Histoire des princes, des riches, des vainqueurs. L’impact de l’une sur l’autre vu que dans un unique sens, du haut vers le bas, alors que l’inverse était tout aussi flagrant…    

 

Holochain : Technologie issue du numérique qui a émergé vers 2020 en remplacement des blockchains qui réclamaient des bandes passantes aberrantes et la centralité du protocole et de la gouvernance. L’ holochain répondait aux cahiers des charges issus des systèmes vivants et fut vite adoptée par tous. Dès lors, le modèle de société pyramidale devenait complètement obsolète et ouvrait la possibilité de concevoir des sociétés complexes et technologiques, sans l’impératif des échanges marchands. Cette technique a mis les humains face à une évolution irréversible offrant d’autres choix que le seul système monétarisé. 

 

L’Homme superflu : Le drame du capitalisme originel a été  l’exploitation de l’homme considéré comme outil de production. Le drame du capitalisme tardif a été de rendre l’homme inutile, superflu, même en tant que consommateur.

                Seule l’économie de l’accès tel que nous la connaissons aujourd’hui aura permis de rendre à tout individu, quels que soient ses potentialités et ses engagements, son utilité. Nul n’étant plus superflu, il s’est très tôt posé la question du sens, bien différente de la question utilitaire. La distinction entre vivre et exister par exemple a soulevé des débats nouveaux qui eussent paru incongru au temps du libéralisme.

                Vivre, c’est ne pas être mort, c’est avoir des fonctions vitales en état de fonctionner (manger, respirer, boire, se mouvoir, entrer en interaction avec son semblable…). Exister, c’est se projeter hors de soi, c’est donner un sens à sa vie biologique (penser, prévoir, aimer, inventer…). Après l’abolition, on a vite réalisé que si tout le monde avait de quoi vivre, tout le monde n’existait pas vraiment.  La sécurité même du vivre ne mettait-elle pas en jeu nos capacités à exister ?... 

 

Humanitaire :     A la fin de l’ère monétaire, la charité a généralement remplacé la justice sociale, l’équité. Les États se désengageant de toutes ses fonctions d’assistance au profit du privé, la marchandisation des services devenant un créneau porteur de profits, les ONG, l’humanitaire a pris une place inconsidérée. Cette place lui donnant un pouvoir, y compris sur les États qui bénéficiaient ainsi d’une paix sociale relative, les ONG ont pris une importance, voire un pouvoir que nul contre-pouvoir ne venait réguler.

                Les abus ont été nombreux, avec l’utilisation clientéliste des dons, l’emploi de “bénévoles rémunérés”, parfois scandaleusement bien payés, etc. Après la suspicion généralisée de la classe politique, la même suspicion a atteint les organismes humanitaires jadis portés aux nues. On vit en effet de beaux exemples de perversions des entreprises les plus louables dans leurs intentions qui, par la quantité d’argent qui circulait entre leurs mains, ont reproduits les mêmes effets délétères que les pires entreprises commerciales…

                Le pire a été atteint lorsque des entreprises purement commerciales se sont mises à “vendre” de l’humanitaire sous la forme de voyages organisés dans les pays pauvres. Certaines agences faisaient payer extrêmement cher des séjours dont le seul intérêt était d’inscrire dans son CV “Participation aux soins médicaux dans un dispensaire ougandais“ ou “Mission d’accompagnement éducatif dans une école ivoirienne”. Les “volontaires” étaient pressurés par de multiples “frais annexes”, les associations locales n’en recevaient que des miettes et les actions proposées relevaient de la mise en danger des populations comme des clients. En effet, il n’était pas rare de voir des jeunes placés en situation de pratiquer des actes médicaux sans la moindre formation, de donner des conseils sans la moindre connaissance du sujet, etc. Mais les profits engrangés sur le dos des pauvres et des volontaires justifiaient tout…  

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