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Un nouvel oxymore, une monnaie écologique...

19 Avril 2020, 11:47am

Publié par AUPETITGENDRE Jean-François

                Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne viennent de sortir un livre intitulé “Une monnaie écologique” (éd. Odile Jacob, février 2020). Dans un entretien paru sur le site “Le Vent se lève”, ils expliquent que « la neutralité monétaire est un dogme selon lequel la politique monétaire serait « neutre », c’est-à-dire sans effet sur l’économie. Ce qu’on cherche à démontrer dans le livre, c’est que cela n’est pas vrai, de la même que le marché tout seul ne peut pas conduire à la neutralité carbone […] Très concrètement, la monnaie est créée ex nihilo par un simple jeu d’écritures. Or cette monnaie, quand elle est dans votre main, a un pouvoir d’achat : créer de la monnaie, c’est donc créer du pouvoir d’achat. De fait, ce pouvoir d’achat est un droit sur un bien… »

                Tout est dit dans ce paragraphe ! La neutralité de l’argent est sans cesse évoquée dans les débats de fonds sur son utilité, sa nécessité, son éventuelle obsolescence. Il s’agit bien sûr de réduire à néant toute qualité de cause première de l’argent dans les maux que l’on dénonce. “L’argent n’est qu’un outil, neutre, seule la main qui le tient est responsable”, dit-on.  Voilà bien un oreiller commode pour le sommeil de l’esprit ! Ce sont généralement les mêmes qui affirment la neutralité de l’argent et qui nous disent qu’il en faut plus pour régler les problèmes, que créer de la monnaie, c’est créer du pouvoir d’achat”.

                Cette idée de neutralité de l’argent est contredite ici par ceux-là même qui refusent d’imaginer une abolition de l’argent au nom de sa neutralité. Étrange paradoxe… Si la monnaie créée ex nihilo par la dette ou par le Quantitative Easing des États est capable de créer du pouvoir d’achat, elle est capable aussi de donner à celui qui la détient le droit de choisir entre un producteur ou un autre, donc le droit de choisir qui pourra vivre et qui fera faillite, de choisir l’acquisition d’un beau livre pour son enfant ou un jeu électronique violent, d’investir dans une action Bayer ou le maraichage bio.

                Les auteurs de l’article parlent de “droit fongible” c’est-à-dire qui est qualifié par une valeur et peut donc être remplacé par autre chose de valeur équivalente. Donc le médium argent rend toutes choses qualitativement égales puisque l’on peut échanger un bien commun issu de la terre (des champignons sauvages) contre une production polluante de même valeur (un bidon de “roundup”). A moins de mettre un flic derrière chaque citoyen et un Bœuf-carotte derrière chaque flic, l’argent permettra toujours de choisir le “roundup” plutôt que le champignon, si cela procure une meilleure plus-value. L’argent neutre est par essence anti-écologique. Il faut être  économiste comme Grandjean et Dufrêne pour chercher à inventer une “monnaie écologique”, à marier la carpe au lapin !

                Mais suivons le raisonnement un peu plus loin. La monnaie doit devenir un bien commun et non un bien public nous disent les auteurs-économistes. Il suffit pour cela de “se donner les moyens de gérer le crédit et la monnaie comme un bien commun”. Ainsi, le crédit pourra être orienté par des décisions communes au profit de l’intérêt général et non plus en fonction d’un but uniquement lucratif. Un “Parlement du crédit” en garantirait le bon usage. Sous l’impulsion du CNR, le Trésor a rempli en partie cette fonction jusqu’en 1970 avant d’être démantelé dans l’indifférence générale, preuve qu’il ne se suffisait pas à lui-même pour permettre à une monnaie de rester sociale et solidaire !

                Les deux étages de la monnaie, celui de la chrématistique et celui de l’économie des ménages existent au moins depuis Aristote et ce n’est pas un hasard si ces deux étages n’ont jamais été étanches, si l’argent distillé par les États, les banques, le crédit, le travail finisse toujours par atterrir dans le domaine de la spéculation plutôt que dans celui de la consommation. S’il est pensable de contrôler l’émission de monnaie par des organismes paritaires et démocratiques (un parlement du crédit par exemple), il est impossible d’étanchéifier les deux étages, le pouvoir du premier étage étant toujours plus puissant que celui du rez-de-chaussée. Il faut être économiste, c’est à dire croyant d’une religion dont les dogmes ne sont jamais démontrés, pour imaginer que l’immeuble à deux étages ne finisse pas tôt ou tard par être transformé en “duplex” au seul usage des plus riches.

                Mais imaginons que, par l’opération du Saint Esprit, une monnaie soit créée par le peuple et pour le peuple, un QE4P par exemple, avec tout un arsenal juridique pour que le Marché n’envahisse pas le commun. Comment empêcher le citoyen lambda d’utiliser son argent fongible pour acheter un intrant douteux et l’épandre dans son jardin privé, une entreprise de peindre en vert l’étiquette de cet intrant pour rassurer le client sans rien changer à sa composition chimique… ? Le contrôle de l’argent écologique devra s’effectuer à tous les niveaux de production et de consommation, en permanence et au prix d’un État centralisé et hiérarchisé, dont on sait, à l’expérience, qu’écologiquement, c’est le pire des systèmes. Or, c’est bien la recherche du profit maximum qui entraîne les dérives individuelles, industrielles et étatiques. Une monnaie écologique supprime-t-elle le profit ? A l’évidence non, puisqu’une monnaie induit la valeur et donc la plus-value. Aucun système marchand ne pourra inclure dans ses objectifs à la fois l’écologie et les profits financiers. Il faut choisir, l’argent ou l’écologie, le profit ou la justice, la hiérarchie ou la démocratie… Le principe même de l’échange marchand induit le “paquet cadeau” de l’argent et de la valeur, de la marchandise et du travail, de l’État et du marché. Tout de même, après quelques millénaires d’expérience, sous toutes les latitudes et toutes les configurations politiques, il faudra bien se résoudre à accepter cette réalité !  Au lieu de cela, nos élites se sont engagées dans une impossible controverse digne de Valladolid sur le “découplage” au sein du paquet cadeau… Ce n'est pas un "altercapitalisme"qui sauvera la planète comme le suggère le sous-titre du livre, mais une sortie radicale du capitalisme, privé ou d’État !

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