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Désargence.over-blog.com

La société autophage.

14 Mars 2020, 15:13pm

Publié par AUPETITGENDRE Jean-François

                Anselm Jappe prend comme point de départ le mythe grec d’Érysichthon, roi de Thessalie, condamné par la déesse Déméter à n’être jamais rassasié pour avoir coupé un arbre sacré. Plus il mangeait, plus il avait faim. Après avoir consommé tous ses biens il se dévora lui-même. Ce mythe, raconte le devenir du capitalisme qui finira par s’auto dévorer. Le mythe anticipe la logique de la valeur, de la marchandise et de l’argent. La soif d’argent ne peut jamais s’éteindre parce que l’argent n’a pas pour fonction de combler un besoin précis. Cette faim abstraite détruit les aliments concrets sur son passage et elle le fait à une échelle toujours grandissante et toujours en vain. Mourir de faim au milieu de l’abondance, c’est bien la situation à laquelle nous conduit le capitalisme.

                Partant de là, Anselm Jappe nous raconte le fétichisme qui règne dans ce monde, à travers le travail abstrait et l’échange marchand dont il nous explique qu’il n’est pas ce qui justifie l’argent mais l’inverse. La croissance matérielle, en consommant les ressources naturelles, finit par consommer le monde réel, elle engendre une dynamique qui consiste à croître pour croître. De là, dans toutes les activités, ce qui ne s’exprime pas en argent est dévolues aux femmes, aux poètes, aux asociaux qui dès lors ne peuvent prétendre qu’à des rôles d’auxiliaires.

                Le chapitre Narcissisme et capitalisme s’appuie sur Freud et Adorno pour nous dire que, grâce aux technologies, la société est maintenant mûre pour vivre avec un minimum d’aliénation et de répression, toute “sur-répression” dépassant ce minimum n’a d’autre fonction que de maintenir les structures actuelles de domination au profit d’une minorité. Et tout y passe au filtre de cette analyse, la publicité, le smartphone, le selfie, l’impératif de la jouissance,  la drogue…

                L’essentiel du livre est dans la longue conclusion, l’épilogue : La valeur marchande est devenue effectivement la forme universelle de synthèse sociale et l’ouvrier préfère s’auto-exploiter comme autoentrepreneur plutôt que de monter sur les barricades ! De ce fait, il lui semble qu’opposer le  “un pour cent” au 99% de la population restants est une aberration […] Il faut plutôt s’émanciper des formes sociales atomisées et fétichistes en commençant par sa propre constitution psychique narcissique. Après avoir quelque peu étrillé les alternatives impuissantes à dépasser le capitalisme, Anselm Jappe conclut par cette phrase lapidaire, définitive et brutale : L’abolition de l’argent et de la valeur, de la marchandise et du travail, de l’État et du marché doit avoir lieu tout de suite, - ni comme un programme “maximaliste” ni comme une utopie, mais comme la seule forme de réalisme. Il nous prévient enfin qu’il n’y a aucun modèle du passé à reproduire tel quel, aucune sagesse ancestrale qui nous guide, aucune spontanéité du peuple qui nous sauvera avec certitude. Mais l’humanité a vécu sans les catégories capitalistes très longtemps ce qui  démontre qu’elles n’ont rien de naturel et qu’il est possible de vivre sans elles. Un livre à lire attentivement et à méditer car il marque un tournant dans la pensée contemporaine… 

Anselm Jappe est l’auteur de Guy Debord (Via Valeriano 1995, Denoël 2001, La Découverte 2020), Les Aventures de la marchandise (Denoël, 2003, 2017), L’Avant-garde inacceptable (Lignes, 2004), Crédit à mort (Lignes, 2011).

Il participe au groupe de réflexion sur la Valeur-dissociation et au blog du même groupe, Palim-Psao en compagnie de Benoît Bohy-Bunel, Roswitha Scholz, Norbert Trenkle, Moische Postone, Clément Homs, etc.,  et autour des textes de Robert Kurz (1943-2012). 

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