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Désargence.over-blog.com

L’expérience sans les profits.

16 Mars 2020, 10:28am

Publié par AUPETITGENDRE Jean-François

                Toute décision politique, tout choix stratégique, toute initiative de production ou d’organisation, font appel conjointement à un savoir et une expérience. Dans le “logiciel argent”,  réaliser un pont, opter pour un programme éducatif ou choisir de semer des carottes plutôt que du blé, dépend essentiellement du budget nécessaire et des retours sur investissement. A travers tous les articles de ce blog classés dans la catégorie “État des lieux”, la question financière domine largement sur l’utilité d’un projet, sur les modes de production, sur les choix techniques ou humains. Politiquement, le court terme est généralement privilégié sur le long terme, les enjeux étant plus souvent électoraux que sociaux et les projets calés sur la durée des mandats.

                Dans le nouveau “logiciel a-monétaire”, l’absence de budget, de salaires, de profits change les savoirs disponibles, les mettant d’emblée en accès libre. Sans les brevets, les copyrights, les secrets industriels, la concurrence, plus rien n’empêche de prendre ce qu’il y avait de meilleur parmi les anciennes marques, d’en faire une synthèse, et de fabriquer enfin des objets inusables, réellement adaptés aux besoins, à moindre coût écologique. Sans questions financières, un laboratoire choisit naturellement son orientation de recherche en fonction de l’intérêt commun et la collaboration est bien plus efficace que l’actuelle compétition. Mais c’est encore au niveau de l’expérience que le paysage change le plus radicalement.

                En effet, un grand projet nécessitant l’enrôlement d’un grand nombre de compétences et une débauche de matières ne peut s’interrompre dans un logiciel argent. L’exemple le plus flagrant est la folie de l’EPR de Flamanville. De 3,3 milliards, le budget est passé à 12,4 milliards. Il devait durer 5 ans, il n’est pas sûr que 12 ans lui suffisent. C’était une formidable avancée technologique, c’est devenu une bombe à retardement tant les erreurs et les malfaçons se sont accumulées. Mais comment arrêter une bonne idée qui s’avère catastrophique à l’expérience quand tant d’argent est en jeu ? C’est le problème des célèbres GPII (les Grands Projets Inutiles et Imposés) qui ont provoqué tant de luttes, de temps perdu, d’énergie gaspillée. Une idée semble bonne un temps, pour un petit groupe d’experts, mais révèle d’autres intérêts contraires, des probables dégâts environnementaux, des nuisances graves pour les riverains. Comment abandonner les promesses d’emplois et les annonces de profits possibles, les coûts d’études et les objectifs de croissance, sous le prétexte du sauvetage de quelques grenouilles ou d’un coin de forêt ?

                La financiarisation des activités humaines fige mécaniquement des processus qui s’avèrent désastreux. L’agriculture industrielle est une catastrophe évidente, mais l’exploitant qui a investi dans un énorme tracteur ou dans une station de traite connectée, qui s’est endetté pour la vie sur les conseils d’un agronome patenté, peut-il sans risque revenir à une agriculture “raisonnable”. L’argent a ses raisons que la raison n’a pas !

                L’argent ayant la caractéristique mécanique de se condenser, tout ce qui vient de lui tend aussi à se concentrer, à se globaliser, avec toujours la même intuition du too big to fail. Qu’il s’agisse de cultiver la terre, de produire des machines à laver ou de distribuer les ressources alimentaires, la culture intensive, la délocalisation des usines, l’hyper marché ne peuvent être évités, c’est la logique du système. Tout a été pensé selon cette logique : la production d’énergie centralisée et redistribuée ensuite par un réseau de lignes consommatrices de cette énergie ; les lignes ferroviaires en étoile autour des capitales  compliquent tout trajet transversal ; les États eux-mêmes qui ont tous convergé vers le modèle hiérarchique de la pyramide et exclu toute possibilité de fédéralisme, de démocratie directe… Presque toujours, ces grands mouvements de concentration se sont fait sur des temps longs et malgré des oppositions farouches (des siècles quand il s’est agi d’instaurer un pouvoir central, preuve que le système n’était pas si “naturel”). Mais une fois que ces condensations sont établies, leur force d’inertie les rend quasiment irréversibles, quel qu’en soit le coût financier, humain, écologique. Les élites ont beau avoir l’expérience de ce coût, elles ne peuvent rien changer qui ne coûte encore plus, à moins de changer de logique.

                Comme on a vu, à travers la plupart des articles de ce blog, que l’argent crée plus de dégâts que de bien être et que même ces dégâts continuent à faire du profit (au moins pour quelques-uns), on voit, à travers les projections faites dans les articles sur l’après monnaie, que l’expérience pourra enfin servir, qu’elle soit positive ou se révèle négative, que l’erreur pourra être plus rapidement corrigée, que les conflits issus d’expériences contradictoires pourront être traités dans la sérénité et non sous la pression budgétaire.

                Nul doute que dès la disparition de l’argent, l’expérience se ré-enchantera à tous les étages, dans la vie quotidienne, l’école, la société. Elle sera respectée et non trahie par des “sachants”, cultivée et non confisquée par des théories, elle deviendra réflexe et autorisera des prises de risques que l’argent étouffait…  

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