Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Désargence.over-blog.com

On connait la musique!

1 Janvier 2020, 11:52am

 

                Quand les hommes ont commencé à imaginer la possibilité de moduler le timbre de la voix pour en tirer une mélodie, la musique était inventée. Ce fut le début d’un long chemin intellectuel. Le chant s’est d’abord partagé sur le mode de l’unisson. La deuxième étape qui n’est pas la moindre, fut de penser que l’on pouvait chanter à l’octave (la consonance la plus parfaite). Cette étrange découverte permet à une basse de chanter avec un ténor la même mélodie. Il ne faut pas croire que toutes les oreilles ont de suite admis cette excentricité. Pour beaucoup, chanter un do 3 et un do 4 en même temps relevait de la cacophonie. Cette technique a pu  même être considérée contre nature puisqu’elle permettait à un homme et une femme de mêler leur chant. L’Eglise catholique l’a longtemps proscrite, tolérant uniquement le mélange d’une voix d’enfant mâle (ou de castrat) et d’homme. L’octave, c’est le dédoublement du même (la corde de violon coupée en deux donne l’octave, deux flutes de 20 et 10 cm donnent l’octave, etc. Chanter à l’octave c’est donc noyer les deux identités en une seule, c’est quasiment érotique.

                Puis un fou furieux a introduit la quinte, cette note d’une fréquence tierce par rapport à la première. Do est en tout point semblable à sol tout en étant différent de lui. Le son qui naît de cette union est quasiment incestueux. L’Eglise a fini par l’accepter par référence à la Sainte Trinité (Do le père, Sol le fils, Quinte le saint esprit). Mais cette introduction dans le chant des possibilités musicales n’a pu se faire qu’au prix d’une longue éducation de l’oreille et d’une laborieuse élaboration théologique. La suite logique était d’introduire la tierce pour former un accord parfait (do-mi-sol). Le chemin était tracé pour inventer les accords de 7ème, puis de 4ème, puis de cinquième augmentée, etc.

                Arriva enfin la fin de l’Histoire, l’invention de tous les accords possibles en partant des 12 demi-tons de la gamme, de toutes les combinaisons possibles de forme et de genre. Une catastrophe pour les compositeurs en herbe, incapables d’inventer du neuf avec le vieux système ! Les grands romantiques seraient-ils donc indépassables, comme l'ont été l’économie de marché, le néolibéralisme, la concurrence non faussée ?...

                Comme il y a aujourd’hui des fous prétendant quitter le vieux système monétaire en bout de course pour entrer dans le nouveau cycle de la désargence, il y a eu Debussy pour s’affranchir des règles communes, Schönberg pour remplacer le bon ton par la série, Xenakis pour penser en terme de « masses sonores » et tant d’autres qui ont inventé ce que nous appelons la musique contemporaine.

                Il est tentant de faire le parallèle entre l’évolution musicale et l’évolution de l’économie. Ce n’est pas parce que le modèle originel s’appuie sur une science acoustique, une mathématique très précise des vibrations, ce n’est pas parce que le modèle est vieux de plusieurs millénaires qu’il est définitif, indépassable. Le seul moyen pour qu’émerge une autre forme musicale après la perfection de Bach ou Chopin, c’est de changer de logiciel. Le seul moyen de sortir du système monétaire c’est aussi de changer de  logiciel et ce n’est pas parce que c’est impossible que le changement tarde à venir, c’est parce qu’il est plus rassurant de chercher une nouvelle mélodie avec douze tons que de jeter les tonalités aux oubliettes, que de voyager dans des univers sonores radicalement différents. Il est plus simple de bricoler un Revenu Universel Inconditionnel que de supprimer la Monnaie.

                Pour rassurer mes contradicteurs, je rappelle que changer de mode ne signifie pas faire table rase du passé. Bartók ne s’est pas interdit un accord parfait, Steve Reich  a composé pour le piano autant que pour l’électronique. Ce qui s’est passé avec la musique peut tout aussi bien se faire avec le système monétaire : nous garderons tout ce qui peut rester d’utile, nous inventerons ce qui ne s’était jamais vu ou entendu,  et cela suscitera tout autant d’incompréhensions, de sarcasmes, de cris d’orfraies…

Commenter cet article