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Désargence.over-blog.com

La gestion locale ou l’usine à gaz ?

11 Décembre 2019, 15:14pm

Publié par Yannis

 

                Si l’on imagine assez bien comment peuvent s’organiser de petites communautés humaines, la gestion des routes, de la production d’énergie, de la sidérurgie lourde, des transports internationaux, de l’éducation nationale et de toutes les énormes  “usines à gaz” qui font notre quotidien, paraît impossible sans argent, sans État centralisé, sans marché mondial. Et pourtant on ne peut pas dire qu’avec l’argent, les États et le marché mondialisé le résultat soit fameux.

                La gestion de l’énergie est à ce titre exemplaire. Nos centrales thermiques polluent au point de dérégler le climat jusqu’à l’insoutenable. Les centrales nucléaires représentent un risque sanitaire constant et produisent des déchets dont nul ne sait que faire et qui hypothèque l’avenir sur des siècles. Les énergies douces (éolien, solaire, hydraulique…) sont de plus en plus contestée quant à leur intérêt à moyen terme. La consommation d’électricité ne cesse d’augmenter et de s’imposer comme vitale, ce qui rend impensable la réduction des pollutions qu’elle implique. Même les études les plus contestataires et les plus globales telles que celle du collectif “Négawatt” se heurtent à des apories qui limitent sérieusement leurs ambitions écologiques.

                La gestion des matières premières, tant industrielles qu’alimentaire est devenue complètement folle. Le pillage des pays pauvres par les grandes puissances dépasse en conséquences humaine et environnemental tout ce que nous avons connu avec le colonialisme du 19ème siècle. La délocalisation des usines pour résister à la concurrence a provoqué un effroyable dumping social qui peu à peu tend à paupériser l’ensemble des masses laborieuses. La transformation des matières premières se trouve ainsi dispersée aux quatre coins du monde et induit des flux de marchandises qui frisent le ridicule : un pot de yaourt à la fraise parcourt 9 115 km avant d’arriver dans notre réfrigérateur, si l’on en croit une étude réalisée par l'Institut allemand Wuppertal !

                Imaginons maintenant que, demain, il n’y ait plus ni argent, ni salariat. Que deviennent les “usines à gaz” et les pots de yaourt à la fraise ? Nous allons hériter de techniciens qui sauront toujours comment l’électricité peut être produite et distribuée, des producteurs capables de fabriquer des pots de yaourt et des cuisiniers susceptibles de les accommoder de fraises. Il est probable que ces gens-là auront à cœur de mettre leurs compétences au service de la collectivité.

                Reprenons le cas de l’électricité. Les apories auxquelles se heurtaient les militants de Négawatt seront du jour au lendemain limitées au moins de moitié. En effet, sans argent, nous n’aurons plus besoin de l’énergie qui ne sert qu’à la circulation du dit argent. Rien que la publicité qui n’aura aucun sens dans une société non marchande, c’est quasiment la moitié de ce qui est consommé actuellement. L’éclairage jour et nuit des enseignes lumineuses et des panneaux publicitaires, la production de papier pour les flyers, catalogues, affiches… Rappelons que le livre publié en plus grand nombre dans le Monde n’est plus la Bible  ou le Coran, mais le catalogue Ikéa, avec 217 millions d’exemplaires distribués par an !). La gestion comptable nécessite également une quantité énorme de bureaux, d’administrations, de banques de données, chauffés, climatisés, éclairés, connectés. La production d’objets parfaitement inutiles comme les gadgets, les jetables ou le renouvellement de ce qui a été conçu pour ne durer longtemps, c’est aussi une part importante de la consommation d’électricité qui disparaîtrait automatiquement en cas de désargence. Il est difficile de chiffrer avec précision le pourcentage d’énergie qui serait économisé par la fin de l‘argent, mais on peut être quasiment être assurés que nos centrales nucléaires deviendraient parfaitement inutiles.

                Les “usines à gaz” qui nécessitent une organisation centralisée, des compétences multiples, une grande diversité de matières devront, dans une société a-monétaire, produire selon les besoins et non pour but principal de créer des besoins. Elles pourront produire à la demande, avec les meilleurs procédés et éléments connus pour leur solidité et leur efficacité puisque, les brevets n’existant plus, elles auront accès à toute la technologie sans problème de propriété et de concurrence. Elles devront rechercher les matériaux nécessaires du plus proche au plus lointain pour éviter les transports inutiles. Elles n’auront plus de problèmes de mode, de design, d’accessoires pour satisfaire une clientèle intoxiquée par la publicité.

                On peut ainsi imaginer une usine de voitures fabriquant des véhicules adaptés aux besoins, composés de ce qui a été inventé de mieux, tant sur le plan de la solidité, du confort, de l’empreinte carbone. Si la demande faiblit, l’usine pourra s’arrêter un temps, sans problème de chômage et de licenciements. Si la demande est pour une raison quelconque importante à un moment donné, elle pourra faire appel à d’autres techniciens d’une usine sans commande. Les marques n’ayant plus aucun sens, les usagers n’auront aucun intérêt à réclamer une voiture fabriquée à l’étranger. Sachant qu’une Renault Clio sortant d’une chaîne nécessite actuellement 22 heures et trente minutes, il n’y aura pas de stocks à prévoir longtemps à l’avance. Alors que les employés actuels sont contraints de travailler 35 heures par semaine, on peut imaginer que quelques heures suffiraient à répondre à la demande, ce qui représente un confort de travail inouï et une qualité de vie incomparable. La formation des travailleurs pourra alors être permanente et chacun pourra s’il le désire devenir polyvalent et changer de poste à loisir. Il est peu probable qu’une unité de production dans ces conditions ne trouve pas le nombre de travailleurs nécessaire pour satisfaire tous les usagers de son secteur.

                Pour les unités de production qui ne peuvent s’arrêter pour des raisons technique, par exemple des hauts fourneaux qu’il est impensable d’interrompre plus de quelques jours par an et seulement pour des questions de maintenance. Cela nécessitera donc un travail continu, 24 heures sur 24. Actuellement, un haut fourneau qui ne produirait pas en continu et qui serait sans cesse entretenu représenterait une charge financière insoutenable. Ce n’est pas par hasard si les aciéries de lorraine, de la Ruhr ou des Pouilles se sont peu à peu délocalisées en Asie. Dans une société a-monétaire, il redevient concevable de remettre en route des complexes sidérurgiques locaux, de produire juste la quantité d’acier nécessaire à l’industrie, de constituer des équipes de nombreux volontaires qui assureraient en continu les feux  de ces monstres technologiques.

                Une chose essentielle changerait avec une société a-monétaire, la   rentabilité. Rien n’est possible aujourd’hui qui ne soit rentable, qui ne produise suffisamment de plus-value pour augmenter le capital. Sans ce dictat, dans un monde où seules l’utilité, le bien, le bon, le plaisir puissent motiver les humains à produire, qu’une entreprise soit réduite à quelques opérateurs ou à des centaines, toute délocalisation serait absurde, tout abandon d’activité pour motif de rentabilité serait incongru. Quand les “bullshits” se multiplient, quand la souffrance au travail pousse des millions de gens vers le “burnout”, comment hésiter face à une désargence que l’on sait possible ?...

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