Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Désargence.over-blog.com

Avec ou sans frontières…

12 Décembre 2019, 10:39am

Publié par Jef

 

                Dans le contexte actuel de la mondialisation, la question des frontières est récurrente. Pour les uns, la frontière est une limite artificielle qui empêche la circulation des personnes, crée des conflits, réduit les échanges. Pour les autres, c’est l’enveloppe qui délimite intérieur et extérieur, donne sens et qualité au contenu. La frontière limite ou définie selon les points de vue. Dans le contexte marchand, la frontière devient une protection contre la concurrence extérieure ou un frein aux échanges, à la croissance. Mais dans un contexte a-monétaire, qu’adviendrait-il des frontières ?

                Certes, les frontières naturelles (mer, fleuve, montagne), les frontières historiques et culturelles  (langue, habitus, structures mentales) ne changeront pas et, argent ou pas, nous naîtrons français, espagnols ou allemands et le resterons. En revanche, ce qui change tout, c’est la concurrence, la prédation, la propriété privée, indissociables de l’argent. L’enjeu des frontières se déplacerait sur d’autres domaines que le profit, l’intérêt matériel, la protection des biens. Mais sans argent, une communauté humaine qui s’est construite sur des siècles de pratique, sur une généalogie singulière, peut tout à fait se sentir agressée par l’invasion d’une autre communauté aux usages antinomiques. Un dedans contraint de s’adapter à l’extérieur contre sa volonté pourrait légitimement trouver cela insupportable.

                Ceux qui imaginent un monde sans conflits, parfaitement inclusif dès que l’argent aurait été éradiqué, rêvent d’un monde hors réalité. La cohabitation de deux modes de vie antinomiques exige toujours un effort important de part et d’autre. Et tout effort important ne peut se généraliser. Il y aura toujours des gens rétifs, incapables d’empathie, de sens du compromis et même s’il s’agit d’une minorité, le conflit est inévitable. Il reste cependant la question de savoir pour quelle raison une communauté en envahirait une autre dans un monde a-monétaire. Sans les différences de niveau de vie, qu’est-ce pousserait des Erythréens à quitter leur savane pour s’installer dans une ville européenne, des Européens à vouloir squatter une terre amazonienne, un Touareg à s’installer avec ses chameaux dans les Alpes ? La grande majorité des gens sont attachés à la terre qui les a vus naître, sur laquelle ils se sont construits, où ils se sont forgé une histoire. Sans les impératifs financiers, les gens auront sans doute l’envie de voyager, de découvrir ce qui pour eux est exotique, mais n’auront guère intérêt à émigrer…

                Il reste cependant, au sein d’un même pays, des régions qui n’ont pas toutes le même attrait. Qui hésiterait longtemps entre habiter en plein cœur de l’Aubrac, dans le froid et l’isolement, et habiter dans le chaud Luberon ? Qui choisirait la morne plaine de la Beauce plutôt que l’agréable bord de mer d’Hendaye ? Est-ce par hasard si Nice est surpeuplé et l’Aubrac désert, Hendaye réputé touristique et la Beauce réputée  pour ses champs de blé à perte de vue ? L’herbe est souvent plus verte chez le voisin et sitôt l’abolition de l’argent officialisée, d’importants mouvements de population risquent de semer une belle pagaille !

                A voir ! C’est l’argent qui a suscité l’engouement pour les régions dites aristocratiques et le rejet des zones dites défavorisées. Quantité d’autres critères de choix entent en jeu. Le calme, la convivialité, la beauté sauvage, l’espace sont des avantages au regard du bruit, de l’anonymat des foules, de l’artificialisation des paysages, de la promiscuité… Je connais bien des Niçois qui rêvent de l’Aubrac, de Cévenols qui rêvent de Paris. Les mouvements, s’il en est, se feront dans les deux sens. La propriété privée nous fixe longtemps dans un lieu, la propriété d’usage nous rendrait cette mobilité si vantée par le capitalisme et pourtant réservée aux riches…  La question n'est donc pas "avec ou sans frontières", mais "avec ou sans argent"!

Commenter cet article